Est-ce le visage qui manque ? Est-il si essentiel à la ressemblance ? Ou au contraire, masque-t-il la présence de la chair ?
Peindre un portrait, c'est avant tout peindre la relation que j'ai au modèle. Étrange relation me direz-vous, avec quelqu'un qui me tourne le dos ? qui vous tourne le dos ? Non… qui offre son dos, sa nuque, sans défense : la représentation sociale, mondaine, s'interrompt.
Le dos, cet inconnu de soi, mais aussitôt reconnu. Nuque, colonne vertébrale, points névralgiques, lieux de fragilité ou de force que chacun sculpte à son insu, au gré de son histoire.
Le corps se transforme alors en paysage que le peintre parcourt, caresse de ses yeux, de ses pinceaux. Quand la présence de la chair advient sur la toile, tout est dit : ni besoin du visage ni besoin du regard ; les regards du peintre et du spectateur auront suffi. Celui du modèle, pourtant absent, se démultiplie, il se fond avec celui du peintre et celui du spectateur, qui tous trois regardent vers le même point.
La vision devient intérieure. Nous sommes plongés dans un temps suspendu, entre le charnel et le spirituel. Montant du fond du tableau, la couleur et la lumière cherchent à rendre cette respiration, le rythme d'une intimité partagée, sa pulsation.
Et si je n'entends plus la voix amie ni sa musicalité propre, c'est le signe que la relation s'est interrompue ; le portrait n'est pas prêt, je continue ma recherche.
Emmanuelle Closse-Chantre
octobre 2015
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